Le Christ du message de la Salette
 
« Le critère pour établir la vérité d’une révélation privée est son orientation vers le Christ lui-même » (Benoît xvi, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, n. 14).
 
 
I. – Le Sauveur du peuple
 
« Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils ; il est si fort et si pesant que je ne puis la maintenir ». C’est par cette plainte que commence le message confiée le 19 septembre 1846 à la Salette, dans les Alpes dauphinoises, à deux enfants, Maximin et Mélanie. Mais ce bras, pourquoi Marie cherche-t-elle à le maintenir levé ? Dans la Bible la main ou le bras de Dieu expriment son action, qu’il s’agisse de châtier Israël ou qu’il s’agisse de le sauver. Le prophète Isaïe parle de Dieu en colère contre son peuple, au point d’avoir « levé la main contre lui pour le frapper » (Is 5, 25). Mais le prophète annonce également que « le Seigneur étendra la main une seconde fois, pour racheter le reste de son peuple, (Is 11, 11). Dans le Magnificat tel que rapporté dans l’évangile de saint Luc, la Vierge Marie célèbre le Seigneur qui, « déployant la force de son bras, ... renverse les puissants de leurs trônes », mais également « comble de biens les affamés » (Luc 1, 51.53).
À la Salette Marie se plaint donc qu’elle a du mal à maintenir le bras de son Fils en position levée. Mais pourquoi veut-elle le maintenir en position levée ? Est-ce dans le but de protéger son peuple contre un bras qui, laissé à lui-même, tomberait sur le peuple et le châtierait, l’écraserait ? Ou, plutôt, est-ce dans le but de conserver au peuple la présence d’un bras qui, essentiellement, sauve,- même si ce bras peut également châtier ? La suite du message permet de voir clair. En effet la Vierge y précise qu’elle prie afin que Jésus n’abandonne pas son peuple (« Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse »). Ce qui implique qu’il est le Sauveur du peuple. Le bras que Marie cherche à maintenir en position levée est un bras levé dans le but de nous sauver. Et s’il châtie, c’est également dans le but de sauver. Car s’il en allait autrement Marie, dans le but de protéger son peuple, chercherait au contraire à faire en sorte que son Fils oublie ce peuple, s’en éloigne. Marie prie donc afin que son Fils continue à veiller sur son peuple et poursuive sa mission de Sauveur. Comme on lit dans la lettre aux Hébreux, Jésus au ciel est « toujours vivant pour intercéder » (He 7, 25) en faveur de ceux qui par lui s’avancent vers Dieu. Des bras maintenus levés dans un but salutaire : lors de la bataille contre les Amalécites dans le du désert du Sinaï, Moïse, avec l’aide d’Aaron et de Hur, maintient ses bras levés (Ex 17, 12). Il obtient ainsi la victoire. De même Jésus, en priant pour nous pécheurs, nous obtient le salut, un salut qui, fondamentalement, s’enracine dans l’oeuvre par excellence du Rédempteur : mort en Croix et Résurrection. Ce qui dans l’apparition a particulièrement frappé les deux voyants, ce fut le Christ visible sur la poitrine de Marie, à la fois crucifié et rayonnant de la lumière de la Résurrection.
 
Un peuple en besoin de guérison
Cependant une question se pose alors. A nous Dieu demande d’oublier les offenses : « quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui l’autre ». Dieu nous demande d’être généreux envers qui nous fait du tort : ainsi deviendrons-nous fils de notre Père qui est aux cieux, « car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 39.45). D’où la question : pourquoi Dieu n’oublie-t-il pas nos offenses sans autre forme de procès, pourquoi avons-nous besoin de Jésus pour être réconciliés avec Dieu et sauvés ? Il s’agit là d’un problème extrêmement grave. Or la Providence a voulu qu’il soit traité par Mgr Philibert de Bruillard, l’évêque de Grenoble à qui il reviendra d’examiner l’apparition du 19 septembre 1846 et de la reconnaître comme authentique. Et la Providence a voulu que Mgr de Bruillard le fasse dans sa lettre pastorale pour le carême de l’année 1846, l’année qui justement verra l’apparition.
            Mgr de Bruillard commence sa lettre pastorale en rappelant que tout chrétien doit être un autre Jésus-Christ, « c’est à dire, une image vivante de Jésus-Christ, une expression fidèle de Jésus-Christ par l’imitation de ses vertus » (Mandement pour le carême de 1846, Grenoble, impr. Baratier, 8 pages, p. 4). Voilà qui est capital, mais notre problème n’est pas encore résolu pour autant. Puisque Dieu est infiniment généreux, puisqu’il fait briller son soleil non seulement sur les justes mais également sur les pécheurs, pourquoi donc est-il indispensable de le prier, pourquoi un être humain doit-il se conduire selon les dix commandements, s’il veut éviter les désastres et vivre heureux ? Dans la lettre pastorale de 1846 la réponse à ce problème suit immédiatement : parce que l’homme « fut créé à l’image de Dieu » (p. 4). Mgr de Bruillard considère le penchant qu’a tout homme de grandir, comme une manifestation du désir de ressembler à Dieu (p. 5).
            L’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, lisons-nous au début de la Bible (Genèse 1, 26). Malheureusement nous sommes des images à qui le péché a fait perdre beaucoup de la ressemblance avec Dieu ; « de cette précieuse ressemblance il ne reste plus dans l’homme pécheur que de faibles traits », écrit Mgr de Bruillard (p. 5), et il conclut avec la Bible que l’homme doit s’attendre à un châtiment. – Il suffit de réfléchir pour réaliser que dans la mesure où l’homme pèche, l’homme se prépare un enfer pour lui-même. En effet, comme l’homme pécheur a abîmé sa ressemblance avec Dieu, comme il a ainsi blessé sa propre nature, l’homme est devenu un infirme. Dans la mesure où un homme est ainsi devenu un infirme, un homme défiguré, il sera par voie de conséquence un malheureux.
 
Le Christ Sauveur
            Par la foi nous savons que le Fils de Dieu s’est incarné de Marie pour sauver les hommes, tous des pécheurs. Mais sauver comment ? Simplement en prenant sur lui les châtiments provoqués par les péchés ? L’intérêt que présentent les réflexions exprimées par Mgr de Bruillard dans sa lettre pastorale, c’est qu’elles vont droit au coeur du problème. Le Dieu bon et miséricordieux, écrit Mgr de Bruillard, « rétablira dans nous son image » (p. 5). Or la reconstitution de notre pleine ressemblance avec Dieu est absolument nécessaire pour que les êtres créés à l’image de Dieu que nous sommes, puissent être heureux. Pour que nous soyons guéris des mutilations et des multiples infirmités causées en nous par le péché, il ne suffit absolument pas que Dieu ferme les yeux sur nos frasques et fasse briller sur nous son soleil. Il le fait, heureusement, il use de patience avec nous autres pécheurs, mais sa patience et son indulgence ne suffisent pas pour nous éviter de sombrer dans un tourment éternel. Pour être heureux éternellement, nous qui sommes à l’image de Dieu, nous avons besoin que notre rapport à Dieu soit guéri, nous avons besoin de retrouver une parfaite ressemblance avec Dieu. Or cette parfaite ressemblance, nous la retrouvons grâce au Fils de Dieu devenu Fils de Marie. Le Fils ou Verbe de Dieu « s’est fait chair », écrit Mgr de Bruillard, citant le début de l’évangile de Jean. Il « s’est rendu semblable à nous, afin que nous puissions nous rendre semblables à lui ; Dieu s’est fait homme afin que l’homme devînt Dieu » (p. 8).
            Mgr de Bruillard rappelle que les vertus, les perfections divines sont ainsi « devenues visibles et palpables et se sont montrées revêtues de tout ce qui pouvait gagner notre coeur et faciliter notre imitation » (p. 8). Mais Jésus ne s’est pas limité à donner l’exemple. Jésus lui-même est le soleil que Dieu fait briller sur nous, et qui nous transforme de pécheurs en justes. Il se donne également en nourriture et fait de ceux qui croient en lui les membres de son corps. Ajoutons que saint Paul parle à ce propos de création : « Si donc quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle » (2 Co 5, 17). « Car la circoncision n'est rien, ni l'incirconcision; il s'agit d'être une créature nouvelle » (Ga 6, 15). « Nous sommes en effet son ouvrage, créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes oeuvres que Dieu a préparées d'avance pour que nous les pratiquions. » (Ep 2, 10). – Ajoutons que les écrits johanniques expriment la même réalité en recourant à la notion de naissance : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jean 3, 3). « Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu » (1 Jean 5, 1).
 
Le Sauveur tel que présenté à la Salette
            A la Salette, la Vierge Marie introduit à ce type de réalités en recourant à des signes et en parlant un langage à la portée de tous, tant frustes que savants. Le signe par excellence qu’elle y montre, c’est un crucifix tout de lumière. Tant Maximin que Mélanie ont été frappés par la vision de ce crucifix. Celui-ci rappelle que le Fils de Marie nous a sauvés, fondamentalement, en vivant jusqu’aux conséquences les plus douloureuses son Incarnation dans une humanité pécheresse en proie à des violences. Il a vécu ces conséquences absurdes tout en demeurant totalement fidèle à son Père, qui l’a envoyé dans ce monde pétri d’injustices. Cette totale fidélité au Père aboutit à la Résurrection et au salut. La luminosité du crucifix de la Salette signifie la victoire du crucifié et le salut de ceux qui s’ouvrent à lui. Cette insistance sur le Christ Sauveur victorieux paraissait à l’époque peut-être plus originale qu’aujourd’hui. Au début du dix-neuvième siècle la catéchèse en France parlait en effet peu du mystère pascal[1].
 

 
            Autre indication donnée à la Salette par Marie, et pointant en direction de ce type de réalité : l’insistance du message sur le septième jour. « Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième ». Le septième jour est symboliquement le jour où Dieu, ayant achevé l’oeuvre de la création, se repose (He 4, 4.9). Le repos du septième jour, que le peuple de Dieu a le devoir d’observer, signifie la participation de ce peuple au repos de Dieu, à la vie de Dieu. Or au coeur du septième jour tel que célébré par le peuple chrétien, il y a la célébration de l’Eucharistie, elle aussi évoquée dans le message de la Salette. L’Eucharistie nourrit notre union au Christ. Nous savons par le Nouveau Testament que nous sommes sauvés en étant greffés sur le Christ, en devenant membres du corps du Christ, du Christ qui rend grâce au Père.
La piété liturgique a conféré à la Vierge de la Salette le titre de « Réconciliatrice des pécheurs ». Marie a mérité ce titre par le fait qu’elle nous a obtenu le Christ Sauveur qui, lui, nous a tous « réconciliés dans son corps de chair » (Col 1, 22). En lui, devenus membres de son corps, nous sommes réconciliés avec Dieu et aussi entre nous, et nous rendons grâce.
 
II. - Un fourvoiement vieux de vingt siècles
 
            La Dame de la Salette dit qu’elle doit prier son Fils afin qu’il ne nous abandonne pas, lui le Sauveur qui agit en vue de notre bien. Il arrive malheureusement que l’on fasse dire à la « belle Dame » exactement le contraire. On comprend comme si elle avait dit qu’elle prie son Fils afin qu’il ne nous punisse pas, ne nous écrase pas. Le message de Notre Dame de la Salette nous montrerait une mère éplorée face à une divinité intervenant uniquement pour punir.
            Une fois notre message présenté de cette façon, on croit pouvoir conclure que la Salette est un message d’une autre époque que la nôtre. Il y a une trentaine d’années un théologien citait le « Christ de la Salette, imploré par la Vierge compatissante et miséricordieuse de ne pas châtier », comme typique d'un christianisme pour qui Dieu reste le Seigneur jaloux de son honneur, justicier et vengeur[2]. Voici encore une réflexion qu’on lit dans un ouvrage publié à la suite d’un colloque sur la Salette qui a eu lieu à Paris, à l’occasion du 150ème anniversaire de l’apparition : « La présentation d’un Dieu qui menace et se montre prompt à punir n’est guère recevable pour des fidèles de plus en plus sensibles à un Dieu amour et miséricordieux tel que le propose une Thérèse de Lisieux »[3]. Bref, dans des messages comme celui de la Salette il ne s’agirait pas vraiment de la nouveauté chrétienne. Plus que de « foi en Jésus-Christ », il s'agirait de « croyance au Dieu créateur et vengeur, le Dieu redoutable de l'Ancien Testament »[4].
 
L’origine du contresens
            Nous sommes ici très exactement au coeur du problème, qui dépasse le cas, après tout assez limité, de la Salette. On raisonne comme s’il existait une opposition entre le Dieu créateur, le Dieu de l’Ancien Testament d’une part, et Jésus Christ, si compatissant pour les hommes et si miséricordieux, de l’autre. Le Dieu créateur agit en tyran, tandis que Jésus Christ compatit. Or le filtre qui produit une opposition entre l’Ancien Testament et le Nouveau, ce même filtre produit, appliqué au message de la Salette, l’interprétation d’après laquelle la Dame de l’apparition protégerait son peuple contre son Fils.
Comment ce filtre fonctionne-il ? Pour le comprendre il convient de remonter à son inventeur, un hérésiarque du nom de Marcion, qui vivait au second siècle de l’ère chrétienne. On sait communément que Marcion mettait une opposition absolue entre, d’une part, le dieu de l’Ancien Testament, un dieu cruel, méchant, mauvais et, d’autre part, le dieu du Nouveau Testament, un dieu bon. Le public tant soit peu cultivé sait également que Marcion rejetait non seulement tout l’Ancien Testament, mais également une bonne partie du Nouveau. Ce que le grand public sait moins, c’est que Marcion admettait l’existence de la création. Mais l’oeuvre de la création était, d’après lui, l’oeuvre du dieu mauvais de l’Ancien Testament. Donc pas question de rendre grâce ni pour la nourriture ni pour aucun autre bien ! - Les disciples inconscients de Marcion ne vont pas jusque-là. Mais si l’on réfléchit sur la Rédemption par la croix en se laissant enfermer dans ce type de problématique, on conclura fatalement que la Rédemption par la croix, telle que prêchée par le christianisme traditionnel, consiste à assouvir la soif de vengeance de Dieu. Elle ne procure aucun bien à l'humanité sinon indirectement, en calmant la colère du maître.
            Face à ce genre de tyran, envisager l'homme comme créé à l'image de Dieu et comprendre l'oeuvre du Christ comme une re-création, comme une restauration de la relation à Dieu d’une humanité créée à l’image de Dieu, n'a plus guère de sens, même si l’on ne va pas aussi loin que Marcion, pour qui le créateur était un dieu pervers. Aux yeux de qui se laisse enfermer dans cette perspective, Jésus sauve simplement en enseignant. Il n'est plus qu'un idéologue inventeur d’une religion pour adultes. La question de savoir si Jésus nous abandonne ou pas n'a qu'une importance très secondaire. Et puisque Jésus de Nazareth sauve uniquement en enseignant, le bras dont Marie aurait parlé à la Salette sera fatalement interprété, par les esprits imprégnés de cette mentalité, comme étant un bras levé uniquement pour châtier, conformément à l’ancienne façon de voir désormais "dépassée". Car que pourrait-il faire d’autre ?
 
Du marcionisme aux idéologies à coloration chrétienne
La mentalité contemporaine est certainement allergique au marcionisme en tant que religion admettant l’existence de deux divinités. En revanche la mentalité contemporaine, comme du reste les mentalités des siècles passés, se laisse aisément fasciner par le dynamisme à l’origine du marcionisme comme de mainte autre hérésie, à savoir une approche unilatérale ou fragmentaire de la parole de Dieu. Ainsi à l’aube des temps modernes il y eut des théologiens imprégnés de philosophie nominaliste. Ils concluaient, à partir de l’idée que Dieu est tout-puissant, qu’en toute justice il aurait pu ordonner à l’homme n’importe quoi : voler, torturer, etc. Puis il y eut des dérapages en sens contraire aboutissant au rejet de toute transcendance , comme si reconnaître l’autorité de Dieu revenait à diminuer l’homme[5]. Un christianisme qui, par réaction à ce type de dérapage, réduit les rapports avec Dieu à de la sentimentalité, analyse nos rapports avec Dieu en employant le même type de filtre. On a en effet éliminé tout un secteur de la réalité : celui des relations au Créateur, lesquelles entraînent pour la créature le besoin de vivre selon le Créateur et de lui rendre grâce,- faute de quoi la créature créée à l’image de Dieu dégénérera nécessairement.
 
Un message pour le monde réel
            La Dame qui apparut à la Salette le 19 septembre 1846 parlait d’enfants qui meurent et de disette. En d’autres termes : le message concerne notre monde réel, tel qu’il se présentait à des paysans dauphinois en cet automne de l’année 1846. Aujourd’hui la belle Dame, si elle voulait donner un message équivalent, parlerait sans doute de famines en Afrique et de tsunamis en Extrême Orient. C’est ce monde réel qui a besoin du Sauveur.
            Par l’Evangile nous savons toutefois que le bonheur parfait ne nous sera donné que dans l’autre monde, auquel il faut nous préparer par la conversion, la prière et la pénitence. Le Fils de Marie est venu une première fois pour nous sauver, et il reviendra pour nous juger. Le Nouveau Testament annonce bel et bien un jugement, et il l’annonce parfois de manière brutale. Rappelons-nous la parabole des invités au repas de noces. L’un des invités était venu mal habillé. « Alors le roi dit aux valets : Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 22, 13). Vouloir opposer la sévérité de l’Ancien Testament à la douceur du Nouveau, c’est montrer que l’on ne connaît ni l’Ancien Testament ni le Nouveau. L’immense pas en avant du Nouveau Testament par rapport à l’Ancien consiste dans le fait que notre Sauveur est effectivement venu et nous a sauvés par sa Passion et sa Résurrection. Mais il nous a avertis : « Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n'aura rien préparé ou fait selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups... A qui on aura donné beaucoup il sera beaucoup demandé » (Luc 12, 47.48). Or à nous, Dieu a beaucoup donné.
 
Carmel d’Auschwitz
15 octobre 2013
fête de sainte Thérèse d’Avila
Jean Stern m.s.
 



[1]Cf. Elisabeth Germain, Parler du salut ? Aux origines d'une mentalité religieuse, la catéchèse du salut dans la France de la Restauration. Paris 1968, p. 457-458, 597-598.
[2]C. Duquoc, Dieu différent, Paris 1977, p. 66.
[3]C. Prudhomme, dans La Salette. Apocalypse, pèlerinage et littérature, Grenoble 2000, p. 178 ; cf. également J. Stern, « Le sens de la Salette », dans Études mariales. Bulletin de la Société française d’études mariales. 55e session, Paris 2000, p. 233-243 (en particulier p. 235-236) ; Nouveaux cahiers marials, n° 70, juin 2003.
[4]G. Cholvy, « Expression et évolution du sentiment religieux populaire dans la France du XIXe siècle au temps de la restauration catholique (1801-1860) », dans Actes du 99e congrès national des Sociétés savantes, Besançon 1974. Section d'histoire moderne et contemporaine, tome I, Paris, Bibliothèque nationale, 1976, p. 289-320 (texte cité : p. 300). - Est-il besoin de préciser qu'une manière de voir rapportée par un historien n'est pas nécessairement la sienne?
[5]Cf. Georges M. Cottier, O.P., Horizons de l’athéisme, Paris 1969 (Cogitatio fidei, 40).
RENCONTRE INTERNATIONALE DES LAICS SALETTINS
France, 1 au 10 Septembre 2011

Comment vivre et témoigner du message de La Salette
dans notre vie et dans nos engagements.
P. Isidro Augusto Perin, MS

Introduction: Ce titre peut susciter un certain étonnement et une certaine surprise :
a)- Vivre quoi et comment?
b)- Témoigner quoi et comment?
c)- Vivre et témoigner où et comment, si nous voulons donner la juste valeur à nos différences culturelles?

En essayant des réponses aux questions, je me suis permis de vous proposer la relecture du message de La Salette à partir de l'expression très salettine: « la Belle Dame ». Cette qualification nous introduit dans des valeurs comme la « beauté », la « bonté » et la « vérité ». Voilà donc des valeurs très ancrées dans le message de La Salette qui pourront nourrir notre vie et authentifier notre témoignage là où nous vivons et oeuvrons en tant que salettins et laics associés.

Cette exchange aura quatre sections:
1)- La beauté, la bonté et la vérité: Que mettons-nous sous ces vocables?
2)- Relecture du Message de La Salette à partir de la beauté, de la bonté et de la vérité.
3)- La beauté, la bonté et la vérité, signes d'espérance
4)- Quelques conclusions.

Mon exposé, à partir du message livré par Marie à La Salette, ne prétend rien d'autre qu'identifier des valeurs à vivre et à témoigner en tant que salettins/salettines, religieux/religieuses et/ou laïcs/laïques associés. Le thème sera proposé en quatre unités, avec une question pour chaque unité; ce qui permettra d'approfondir ce texte, en petits groupes, en quatre réunions consécutives, avec des laïcs associés de votre province, soit pour l'enrichir soit pour l'adapter à la réalité de votre pays et de votre culture.

1)- LA BEAUTÉ, LA BONTÉ ET LA VÉRITÉ : que mettons-nous sous ces vocables ?

Les pèlerins qui fréquentent ce sanctuaire et les lecteurs de la littérature salettine peuvent être étonnés par ces expressions souvent répétées: « la Belle Dame, la beauté du site, la fraîcheur et le poids du message, la luminosité du crucifix, l'émerveillement de Maximin et Mélanie devant l'expérience qu'ils vivaient le 19 septembre 1846... ». On se rend compte que l'homme moderne, en recherche pour faire la vérité sur sa vie, sur son rapport au monde, aux autres et à Dieu a faim d'actions lumineuses. Ce qu'il cherche donc, ce sont des manières d'exprimer le Divin qui l'habite par l'expression et la recherche de la « Beauté », de la « Bonté » et de la « vérité ». Est beau tout ce qui contribue à l'évolution raisonnable de l'humanité; est bon celui qui se bat généreusement et de tout son coeur pour le respect de la dynamique de la création, pour la promotion de la paix dans le monde, pour l'oecuménisme, pour le dialogue interculturel et interreligieux... ; est vrai celui qui identifie les signes de l'action divine multiforme dans toute création et ouvre une fenêtre vers l'avenir définitif de humanité.
En prenant soin de nous au plan physique, culturel et spirituel, nous transformons le monde pour qu'il révèle la beauté du Créateur ; en nous aimant, nous guérissons et réconcilions le monde pour qu'il manifeste la bonté de Celui qui nous a toujours aimés ; en nous reliant aux autres, nous serons des témoins de la vérité de tout être humain appelé à vivre en communion à l'image et à la ressemblance de la Trinité. Vouloir activement le Bien de tous sur la terre est beauté, tendre la main à un enfant du monde est beauté, s'émerveiller du don de la nature dans une pensée de gratitude est beauté. Se laisser émerveiller par la beauté du coeur humain et par la beauté en toute chose est notre premier devoir pour que se tisse solidement le futur de l'humanité.« La voie de la beauté nous aide à découvrir la signification de la sainteté et nous permet de nous laisser enchanter par celle-ci pour qu'elle puisse être parlante au monde qui est le nôtre. Vivre "dans le monde sans être du monde", pour l'amour de Dieu, est la signification plus profonde de la sainteté selon la Bible » (1). La beauté donc est unité, car elle signifie l'union avec Dieu. La beauté est aspiration à la parousie, car elle permet de nous accrocher à Celui par lequel nous avons été engendrés.
Notre temps est marqué par des idéologies et des utopies fortement rationalistes et matérialistes et, par conséquence, la beauté a été éliminée, exilée, réduite à de la bagatelle, parce qu'elle n'ajoute rien aux valeurs économiques et financières. Elle a été anéantie au nom de l'économie à grande échelle. Urs von Balthasar, en prenant conscience du dégât que cette conception a causé à la vie chrétienne et à la sainteté, a voulu reprendre le thème de la beauté et de sa signification dans le contexte moderne: « Dans un monde sans beauté... le beau pareillement a perdu sa force d'attraction... Dans un monde qui se considère incapable d'affermir la beauté, les arguments en faveur de la vérité n'ont plus raison d'être » (2).
La théologie, après un temps d'éloignement et d'embarras, reprend la réflexion sur le thème du mystère de la beauté. Souvent la beauté à été réduite à la sphère de l'émotion, du subjectivisme et de l'arbitraire... En réalité, la beauté est une voie privilégiée pour identifier, dans le temps, la plénitude du sens de l'existence humaine, ainsi que ce qui nous incite à céder ou à succomber à la misère, à la pauvreté, à l'incommunicabilité, à la division, à la guerre, au fatalisme... Il ne s'agit pas d'une intuition facile, édifiante et consolatrice... au contraire, la beauté est une invitation à l'immersion radicale dans l'histoire du salut, le mystère qui, partant de la fragilité du présent, nous ouvre à une perspective eschatologique. La beauté est une fascinante image du monde définitif à venir.
De quelle beauté parle-t-on? Sans doute, de la beauté ascétique et spirituelle du message de Marie à La Salette. Le but est de susciter l'émerveillement et la gratitude, car nous y identifions la sagesse de l'éternelle beauté de Dieu. La beauté comme un parcours ascétique et spirituel qui nous achemine vers la recherche du sens dans un monde qui a anéanti tous les points de repères. Est-ce que ne serions-nous pas, en tant que MS, MSF, SNDS avec les laïcs associés, appelés à rechercher et à promouvoir cette beauté dont parle Pavel Florenskij, « La vérité manifestée est amour. L'amour accompli est beauté. Il est digne, juste et bon de laisser l'amour de Dieu envahir tout notre être pour qu'il y soit une présence toujours transformatrice ».
1ère question: Comment vivons-nous ces valeurs et comment les témoignons-nous?

2) - RELECTURE DU MESSAGE DE LA SALETTE A PARTIR DE LA BEAUTÉ, DE LA BONTÉ ET DE LA VERITÉ :
2.1)- Le caractère maternel avec lequel Marie se présente dans la détresse d'un peuple :

La Salette est un village perdu dans les Alpes... Vers la moitié du XIX siècle ce lieu était inconnu du monde de l'époque ; néanmoins dans ces douze villages avoisinants vivaient environ six cents personnes. Celles-ci, appauvries par des épidémies et par de faibles récoltes, ignoraient tout ce que se passait au delà de ces montagnes...
Est-ce qu'on peut s'attendre à identifier des signes de la beauté, de la bonté et de la vérité dans ce lieu perdu, habité en grande partie par des malheureux? Rien d'étonnant, si jadis on disait: « De Nazareth? Qu'est-ce qui peut en sortir de bon? »
Voilà que le 19 septembre 1846, deux bergers, Maximin et Mélanie, respectivement âgés de 11 et 14 ans, témoignent d'avoir vu un globe de feu qui tournait sur lui-même « comme si le soleil était tombé là ». Au centre de cette éblouissante clarté une femme apparaît, assise, la tête dans les mains, les coudes sur les genoux, une croix sur la poitrine d'où émanait une forte lumière qui enveloppait tous les trois. Elle leur confie un message et, ensuite, elle marche vers le petit sommet et, en s 'élevant, elle « se fond dans la lumière ».

Les premiers mots de Marie disent sa vocation de mère: « Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle ». Marie poursuit la mission qu'elle a reçue de son Fils au pied de la croix: « Femme, voici ton fils... Voici ta mère... et à partir de ce moment le disciple la reçut chez lui »(4). Les enfants pensaient avoir rencontré une « maman que ses enfants auraient battue et qui se serait ensauvée dans la montagne pour pleurer ». Seulement après l'assomption de la BELLE-DAME Mélanie s'est exclamée : « C'était, peut-être, une grande sainte » et Maximin ajouta: « Si nous l'avions su, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle ». Faute de culture, les enfants non pas réussi à saisir l'identité de la Belle-Dame. Quelques heures plus tard, la mère Caron, après avoir entendu la narration des bergers, dévoilera l'identité de la BELLE-DAME: « C'est la sainte Vierge que ces enfants ont vue, car il n'y a qu'elle au ciel dont le Fils gouverne ».

Le message de Marie contraste avec la pratique pastorale de l'époque laquelle, souvent, présentait l'image d'un Dieu exigeant, toujours prêt à condamner, et appelant à des oeuvres de réparation destinées à l'apaiser. Effectivement, les premiers mots adressés par Marie aux deux bergers peuvent être interprétés dans ce mode-là: « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si fort et si pesant que je ne puis le maintenir... Depuis le temps que je souffre pour vous autres! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse, et pour vous autres, vous n'en faites pas cas... Le carême, ils vont à la boucherie comme les chiens... ».

Toutes ces récriminations, semblables à d'autres en usage à cette époque-là, semblent s'opposer à la mission que Marie a reçue au pied de la croix, c'est-à-dire, accueillir ses enfants plongés dans la confusion du péché, afin de les enfanter pour une vie nouvelle selon le désir de son Fils. Le poids du bras de son Fils n'a qu'une seule explication: les péchés, dont Marie ne cite que quelques uns : « le mépris du nom du Seigneur, la profanation du jour du Seigneur, l'abandon de la prière et de la pratique religieuse... ». La GS aide à lire ces réprimandes dans un langage plus actuel: « C'est en lui même que l'homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres. Bien plus, voici que l'homme se découvre incapable par lui-même de vaincre effectivement les assauts de mal: et ainsi, chacun se sent comme chargé de chaînes » (5).

Dans son apparition, Marie aide Maximin et Mélanie à lire l'histoire de leurs contemporains pour y identifier les défis et les provocations de Dieu: « Si la récolte se gâte... si le blé tombe en poussière... si les pommes de terre pourrissent...si les noix deviennent vides... si les raisins sèchent... ce n'est qu'à cause de vous autres ». Elle va plus loin en faisant mémoire : « Je vous l'ai fait voir l'année passée par les pommes de terre, vous n'en n'avez pas fait cas... quand vous trouviez des pommes de terre gâtées, vous juriez, vous mettiez le nom de mon Fils au milieu ». Marie identifie les maux de ce temps-là et dévoile les comportements des êtres humains face à leurs détresses : « vous mettiez le nom de mon Fils au milieu ». En ravivant la mémoire des ces données et des attitudes des gens, elle ne veut que provoquer la prise de conscience du besoin de sortir de l'immobilisme et de l'apathie: « Je vous l'ai fait voir l'année passée... et vous n'en n'avez pas fait cas » et, en même temps, assumer la responsabilité d'aller vers un changement courageux: « S'ils se convertissent, les pierres et les rochers deviendront des monceaux de blé et les pommes de terre seront ensemencées par les terres ». Marie nous remet donc au coeur de ce monde et au coeur de l'évangile: « Le Règne de Dieu est là, convertissez-vous et croyez à la Bonne nouvelle »(6)... « Cherchez d'abord le Royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus » (7). Il ne s'agit pas d'aliéner notre liberté mais plutôt de « se soumettre », c'est-à-dire, de se conformer à la dynamique du Christ, d'accepter l'amour gratuit de Dieu et de l'aimer avec toutes nos énergies et toutes nos forces.

A partir de son visage maternel, deux choses étonnantes sont à prendre en considération:

a)- Le caractère éminemment concret de son message: Il y a une claire syntonie entre la façon de parler de Marie à La Salette, qui recourt au langage rural typique du XIXe siècle, et celui de la Bible. L'un et l'autre nous apprennent à identifier la présence de Dieu au sein des réalités concrètes de son peuple. Rappelons-nous l'épisode de la terre du Coin. Marie nous aide à découvrir, à travers les trames des événements de notre existence, la présence toujours discrète de Dieu qui « fait des merveilles » et qui est toujours fidèle à l'alliance qu'il a tissée avec son peuple.

b)- La force des larmes d'une maman : Mélanie affirma catégoriquement: « Elle a pleuré tout le temps qu'elle nous a parlé... J'ai bien vu couler ses larmes, elles coulaient, elles coulaient. Jean-Paul II donne son interprétation à ces larmes: « Les larmes de Marie à La Salette sont à la fois le rappel de celles du Calvaire et le signe de son incessante tendresse à notre égard: elles disent son impuissance face à la gravité de notre refus de Dieu et de notre indifférence face aux réalités historiques » (8). Le refus de Dieu et l'indifférence manifestent l'urgence de la conversion: « Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n'est pas encore achevé, ou qui se trouvent dans les périls et les épreuves » (9). Les larmes amoureuses de Marie montrent qu'elle est toujours attentive, tant aux indifférences et aux péchés des êtres humains, qu'à leurs soucis et à leurs espoirs historiques. Elles disent à quel point nous devons prendre au sérieux l'appel à la conversion ! Le caractère maternel que Marie révèle à La Salette confirme sa maternité spirituelle et assure qu'elle a pris au sérieux la mission qu'elle a reçue de son Fils au pied de la croix. Comme mère, Marie nous achemine, sans cesse, à la Parole de Dieu, à la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, à l'Évangile souvent oublié...
J'ose donc affirmer que les larmes de Marie, face à la détresse de son peuple, indiquent qu'elle a le souci de toute personne en difficulté, qu'elle continue à croire dans le dynamisme de la foi et de l'amour. Elle, qui a vécu dans sa chair les enjeux de son exil en Égypte, de la souffrance au Calvaire et de la résurrection de son Fils peut témoigner, à La Salette, de la beauté et de la bonté de l'être humain qui décide de reprendre le chemin de la compassion et de la solidarité entre les humains, du respect de la création, de la communion avec Celui qui est le chemin à parcourir, la vie à vivre et la vérité porteuse d'espérance.

2.2)- La pédagogie terre-à-terre avec laquelle Marie s'adresse à Maximin et Mélanie : Marie s'adapte « au patois » des enfants et les éduque à lire les signes de temps à partir de la réalité qui les entoure: « le blé en poussière... les pommes gâtées... noix vides... les raisins pourris... les enfants morts dans les bras des leurs mamans... ». Tous ces éléments étaient familiers aux bergers. Ils connaissaient aussi les réactions de leurs contemporains : l'abandon de la pratique religieuse, de la prière et la méfiance envers Dieu. Donc des questions surgissaient: « Si Dieu est bon, pourquoi permet-il toutes ces choses? Serait-il un Dieu qui se venge des fautes des hommes? Pour plusieurs, Dieu est la cause de tous les maux... Voilà donc la raison fondamentale expliquant pourquoi les hommes font un mauvais usage du nom du Seigneur, abandonnent la messe dominicale et la prière journalière...

Marie, par contre, déclare: « Si la récolte se gâte ce n'est rien que pour vous autres. Je vous l'ai fait voir l'année passée... vous n'en avez pas fait cas ». En d'autres termes, Marie invite tous les êtres humains à examiner soigneusement leurs comportements, leur agir, leurs convictions... « C'est aux fruits qu'on connaît l'arbre » disait Jésus; « ce n'est pas ce qui pénètre dans le coeur de l'homme qui empoisonne son être, c'est le poison qui l'habite qui empoisonne tout ce qui l'entoure », disait une pèlerine du nord du Brésil lors de sa visite au sanctuaire en 2007, après avoir médité le message de La Salette.

Marie à La Salette, se révèle une « pédagogue terre-à-terre », qui essaie d'éduquer les êtres humains à découvrir leurs responsabilités dans le présent de leur vie. Marie, pour commencer, n'est pas un objet de dévotion, de culte, de pitié... Elle est, tout d'abord, une mère pédagogue qui partage les drames, les angoisses et les espoirs des enfants de Dieu dispersés dans cette « vallée de larmes ». Elle aide, aussi, à identifier les manques dans nos vies, qui empêchent une vie de communion heureuse. Comme jadis aux noces de Cana, elle indique ce qui permettra de surmonter les déficiences humaines, à savoir l'obéissance aux orientations de son Fils: « Faites tout ce qu'il vous dira ».

Marie, à La Salette, fait usage d'une pédagogie pastorale très répandue après Vatican II : « VOIR, JUGER, AGIR ». Cette pédagogie suppose trois choses: La prise de conscience du vécu des gens dans un contexte très concret, juger celui-ci à la lumière de la Parole de Dieu et organiser des actions pour transformer la réalité à partir de la « Bonne Nouvelle ».

« Voir, Juger, agir », ces attitudes peuvent devenir les trois pieds d'une ascèse chrétienne... La conversion dont parle Marie à La Salette présuppose la victoire de la vérité sur l'hypocrisie, de la bonté sur l'amertume, de l'amour sur la haine ; bref, tout cela présuppose le courage de se laisser enchanter par la beauté de la vocation de tout être humain appelé à vivre en Dieu et pour Dieu.

2ème. Question: La méthode: « Voir, Juger, Agir » est un appel à la conversion dans notre pratique pastorale. Comment faisons-nous usage de cette méthode?

2.3)– L'image de Dieu qu'elle dévoile: « N'avez-vous point vu de blé gâté, mes enfants?». « Non, madame! » « Mais vous, Maximin, vous devez bien en avoir vu une fois, au Coin, avec votre père. Le maître du champ dit à votre père d'aller voir son blé gâté. Vous y êtes allés. Vous avez pris deux ou trois épis de blé dans vos mains, vous les avez froissées, et tout tomba en poussière. En vous retournant, quand vous n'étiez plus qu'à une demi-heure loin de Corps, votre père vous donna un morceau de pain en vous disant : Tiens, mon enfant, mange encore du pain cette année, car je ne sais pas qui va en manger l'an qui vient, si le blé continue comme ça ».

Voilà la secret de la Salette: Monsieur Giraud, avait abandonné la pratique sacramentelle depuis longtemps et il était un assidu du bar placé en face de l'église. De ce lieu là, il se moquait de ceux qui allaient à la messe. Quand Maximin lui rappelle cet épisode, il se moque en disant « mon enfant, serait-il possible que la sainte Vierge puisse apparaître à toi en sachant qui est ton papa? ». Il enchaîne son enfant pour qu'il ne puisse pas sortir et dire des choses pareilles. Maximin donc lui dit: « Papa, elle m'a parlé de toi ». « Qu'aurait-elle dit ». Maximin donc lui rappelle l'épisode de la terre de Coin. Monsieur Giraud n'a pas réussi à dormir cette nuit-là. Le lendemain il demande à son fils de le conduire au lieu de la dite apparition. En y arrivant, Maximin lui ayant fait part de ce qui s'était passé, il boit de l'eau de la source et il est guéri de la maladie de l'asthme. Ce fut le premier miracle de La Salette. Monsieur Giraud change donc de vie et, à partir de ce jour-là, il participe à la messe tous les jours.

Pour les contemporains de l'Apparition, habitués à concevoir Dieu comme le responsable des maux qui les entourent, Marie révèle un Dieu proche, qui accompagne les hommes dans leurs drames quotidiens; un Dieu qui participe aux soucis d'un père de famille de nourrir son enfant dans un temps de détresse, sans s'en tenir au fait que ce papa se moquait de Lui. Marie à La Salette, montre un Dieu qui aime surtout la brebis éloignée qui se moque de Lui; elle révèle un Dieu, « bon Berger », qui est toujours à la recherche de la brebis égarée... En faisant mémoire de cet épisode, Marie rappelle que Dieu, « riche en miséricorde », est toujours attentif aux détails de nos vies : à nos luttes avec nos chutes et nos réussites, avec nos espoirs et nos désillusions...

Le rappel que Marie fait de l'événement de la terre du Coin nous plonge dans le mystère d'un Dieu solidaire avec les hommes dans le plus concret de leur vie. Dieu est au coeur des gestes, des actions et des signes de solidarité, de mutualité et de communion entre les êtres humains, chrétiens ou non, assidus à la pratique sacramentelle ou non... Dieu est là comme compagnon de route, il fait chemin avec ceux qui ont le souci de la perfection et de la sainteté et pareillement avec ceux qui marchent sans se rendre compte de la valeur évangélique de tous les petits gestes vers les autres. Marie nous aide donc à cheminer vers une transformation personnelle, vers un dépassement de nos mesquineries, vers la cicatrisation de nos peurs et de nos préjugés paralysants. Marie, par le rappel de cet épisode, a réussi à hausser la vision que M. Giraud avait du monde et des hommes pour le rendre davantage capable d'entrer dans la connaissance et la sagesse du Père. Il comprend ainsi que chaque personne a sa place et ses responsabilités dans ce monde et que Dieu anime tous ceux qui s'engagent à être au service de la vie de tous. En partant d'un geste de solidarité très simple et presque banal, Marie nous apprend que tout geste accompli par amour nous défie à nous engager pour devenir « parfaits comme le Père est parfait ».

3ème question: Dieu et l'homme ont leur place dans l'histoire du salut. Comment vivons-nous le mystère de l'alliance dans le concret de notre vie ?

3)- LA BEAUTÉ, LA BONTÉ ET LA VÉRITÉ, signes d'espérance.

Des questions sont souvent posées par les pèlerins: « pourquoi Dieu permet-il que le mal subsiste dans le monde? Comment concilier la beauté du crucifix lumineux que Marie porte sur sa poitrine avec une humanité parfois cynique et cruelle? Comment comprendre l'affirmation de Jean-Paul II : « La Salette est un message d'espérance? »

Je crois que la beauté de Dieu révélée dans la résurrection du Christ s'oppose à l'horreur du mal qui n'est que l'anéantissement de la beauté. Celle-ci est toujours anéantie là où les fractures triomphent, là où la violence et la haine remplacent l'amour et où l'assujettissement prend la place de la justice. Donc la question posée par Dostoïesvski est d'actualité : Quelle beauté pourrait sauver le monde? «La beauté qui sauvera l'humanité est l'amour compatissant face à la souffrance » réplique le petit mourant Myskin (10).

Le Cardinal Martini nous rappelle: « A partir du mystère pascal, Dieu se révèle Père, Fils et Saint Esprit... Il s'agit donc d'entrer dans le mystère de la Sainte Trinité à partir du Fils... La Trinité n'est pas une théorie abstraite ou une série de dictons, mais c'est une réalité qui nous habite et nous aide à nous laisser enchanter par le mystère divin. De ce point de départ, est-il possible se poser des questions sur le monde et sur l'histoire, sans la préoccupation d'avoir des réponses théoriques, mais pour nous laisser emballer par la passion d'amour et de miséricorde avec laquelle la Sainte Trinité créa le monde et le récrée, toujours à nouveau , pour le conduire à sa perfection » (11).

Marie à La Salette nous dévoile la corrélation entre la beauté et le fait de suivre Jésus, entre la beauté et la rédemption. Selon l'Écriture, est « belle » la personne qui accueille et vit la Parole de Dieu. Jésus est le « plus beau de la race d'Adam », car il a constamment obéi à la volonté du Père : «Ma nourriture c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de mener à bien son oeuvre » (12)... car « celui qui m'a envoyé est avec moi; il ne me laisse jamais seul, car je fais toujours ce qui lui est agréable» (13). Marie est « la plus belle des femmes » (14), car elle a toujours dit « OUI » à Dieu (15) . C'est comme telle que Marie se présente à La Salette : toute prête à accomplir la volonté de son Fils et nous rappelant qu'il faut accepter les exigences de l'Évangile. La dévotion mariale se transforme en une opportunité de se laisser émerveiller par la beauté spirituelle, manifestée par la croix lumineuse du Christ qu'elle porte sur sa poitrine.

C'est vrai que la compréhension qu'on a souvent de la Croix du Christ et de celles de nos vies peut nous emprisonner dans une logique de mort et de destruction, dans une dynamique du néant et du non-sens... La Croix lumineuse est un appel à identifier, dans les luttes pour la libération des esclavages présents dans notre monde, des rayons d'espérance et des chaînes de petites lumières qui illuminent la vocation de tout homme à vivre, en Dieu et pour Dieu, l'amour vers tous les humains.

4ème question: Quels signes d'espérance pouvons-nous susciter à partir du message de La Salette?

4)- Quelques Conclusions:

4.1) - La beauté et la bonté rayonnées par Marie auprès de Jésus, de Joseph et du peuple de son temps, nous parlent de la vérité de son attachement à Dieu et de son amour maternel envers toutes les générations. Dans son apparition à La Salette elle nous invite à valoriser les choses communes et simples de telle façon que les comportements simples et humbles de notre histoire deviennent une fenêtre ouverte vers l'horizon de Dieu. Un horizon ouvert aux réalités de notre temps pour les accueillir et pour les transfigurer pour l'éternité.

4.2)- La personnalité de Marie, ses actions, ses prières, ses paroles... à Nazareth, à Jérusalem, à La Salette, à Lourdes, à Fatima..., conduisent au Christ. Hier, aujourd'hui et toujours, elle exhorte à la persévérance, à la joie et à l'espérance: « Tu as cru, toi, en l'accomplissement de ce que le Seigneur t'a fait dire : heureuse est-tu »(16). Par ses actes, son silence, ses paroles, et sa souffrance... elle a fait du Christ le Seigneur de sa vie et a proclamé sans cesse qu'il était la source de son espérance. Cette certitude a conduit Jean-Paul II a affirmer que « La Salette est un message d'espérance » (17). Le peuple de Dieu, souvent désenchanté par la réalité qui l'entoure, continue à proclamer que Marie est le plus convaincant exemple d'une femme capable de croire contre toute espérance à la réalisation des promesses de Dieu. Marie, la toute belle, nous aide à découvrir le sens le plus profond de la sainteté et de la fidélité sans failles; son agir n'est que bonté, car elle se révèle une mère compatissante face aux péchés et face aux détresses de tous les frères de son Fils ; sa prière et son agir ne sont que l'expression de la vérité de son « OUI » à la volonté de Dieu.

4.3)- Au long des temps et aujourd'hui encore, on constate que des hommes et des femmes de toutes races et de tous horizons culturels, à partir du message de La Salette, se sentent appelés à redécouvrir, en son Fils Jésus, la valeur de la beauté qui sanctifie, de la bonté qui bâtit la communion et de la vérité qui conduit à la soumission amoureuse au Père. Ces valeurs permettront aux hommes de bonne volonté de s'aventurer sur des chemins de conversion, d'approfondissement de la foi, de renforcement du dynamisme quotidien, pour discerner, toujours à nouveau, les raisons de leur engagement avec et par le Christ au service de « de tout homme et de tous les hommes ».

Notes:
1)- Bruno Forte, Santità Trinitaria del Sacerdote, Conférence au Congrès Sacerdotale, Malte Octobre, 2004.
2)- H.U. Von Balthazar, La percezione della forma; una estetica teologica, Jaca Book, Milano, 1975, p. 11.
3)- P. Florenskij, Amore e Bellezza, in Cristianesimo e bellezza)
4)- Cf. Jn 19, 25-27).
5)- Gaudium et Spes, n. 13.
6)- Mc 1, 15
7)- Mt 6, 33
8)- Jean-Paul II, Lettre pour le 150ème anniversaire de l'Apparition de La Salette.
9)- Lumen Gentium, n° 62
10-Cf. F. Dostoïesvski, L'Idiota, Milano 1998, p. 645.
11)- C. M. Martini, Quale bellezza salverà il mondo? Lettera Pastorale 1999-2000, Centro Ambrosiano, Milano 1999, p. 21-22.
12)- Jean 4, 34
13)- Jean 8, 29).
14)- Cantiques 1,8)
15)- Luc 1, 38; 8, 21; 11, 28).
16)- Luc 1, 45.
17)- Jean-Paul II, Lettre pour le 250ème anniversaire de l'Apparition de La Salette.

p.Isidro Perin MS, 
RENCONTRE INTERNATIONALE DES LAICS SALETTINS
France, 1 au 10 Septembre 2011


1)- La Salette : l'événement, des symboles, des questionnements :

Dans l'événement de La Salette, deux questions, apparemment contradictoires, provoquent les êtres humains :
« Faites-vous bien votre prière, mes enfants ? »
« N'avez-vous point vu de blé gâté, mes enfants» ?

Ces deux questions posées par Marie à Maximin et Mélanie et, sans doute à nous tous, nous invitent à entrer au cœur des deux réalités essentielles à la vie humaine: notre rapport avec Dieu, nourri par la prière, et notre rapport avec la matérialité économique-sociale-politique dont le pain indispensable pour la vie de chacun.

Ces deux demandes nous rappellent les deux dimensions fondamentales de la spiritualité chrétienne: la contemplation de la présence amoureuse du Seigneur et l'action transformatrice de l'homme basée dans la justice et la solidarité. Marie nous apprend que ces deux réalités interagissent l'une avec l'autre. La mentalité moderne est habituée à opposer esprit et matière. Par contre, dans la culture hébraïque les deux réalités forment un tout entier: « RUAH = souffle de vie » et SHEKINAH = présence amoureuse du Seigneur.

L'origine de la spiritualité vient du mot «esprit » et, dans l'interprétation commune « esprit » s'oppose à la matière. Dans le langage biblique, esprit ne s'oppose ni à matière, ni au corps. Il s'oppose plutôt à la « chair », c'est à dire à la fragilité de ce qui est destiné à mourir ; il s'oppose aussi à la loi, c'est à dire à l'imposition, à la peur, à la condamnation. Dans le contexte sémantique biblique, esprit signifie vie, construction, force, action, liberté... L'esprit d'une personne n'est que le meilleur de sa vie : ce qui fait qu'elle soit elle même, ce qui la nourrit, ce qui lui donne l'élan. L'esprit d'un être humain c'est le plus profond de son être: ses motivations ultimes, son idéal, son utopie, sa passion, sa mystique à travers laquelle elle vive, elle combat et elle anime les autres (1).

A l'exemple de la Bible, le message de Marie à La Salette est édifié sur deux piliers : l'esprit, souffle divin qui plane au-dessus de notre vie et dans tous les biens de la création, parmi lesquels le pain. Voilà quelques unes des expressions bibliques qui résonnent avec celles de La Salette :

« Avancez, mes enfants » « Venez et vous verrez » (Jean 1,39)

« N'ayez pas peur » « C'est moi, ne craignez pas » (Jean 6,20).

« Je suis ici pour vous conter « Ne craignez pas, c'est une bonne nouvelle
une grande nouvelle ». que je vous apporte qui fera la joie de tout le peuple »
(Luc 2,10).

« Si mon peuple ne veut pas « Quand tout lui sera soumis, le Fils se soumettra à
se soumettre » celui qui lui a soumis toutes choses, et Dieu sera désormais tout en tous » (1 Co. 15,28).

« Le bras de mon Fils » « Il a fait un coup d'éclat (avec son bras) » (Luc 1,51).
« Le nom de mon Fils » « Il lui donna le nom de Jésus » (Matt.1, 25).
« J'ai vous ai donné six jours « Il se reposa en ce septième jour après tout le pour travailler et je me suis travail qu'il avait fait » (Gen. 2,2)
réservé le septième et on ne veut pas me l'accorder »

"S'ils se convertissent" « La conversion et la patience vous auraient sauvés, la sagesse et la confiance » (Is. 30,15).

«Le carême, ils vont à la « Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint, n'étalez
boucherie comme les chiens ». pas vos perles à la vue des porcs ; ils pourraient bien
les piétiner, et se retourner ensuite pour vous déchirer » (Matt. 7,6).

« Faîtes-vous bien votre prière, « Jésus partit prier dans la montagne et il passa mes enfants » la nuit en prière avec Dieu » (Luc 6,12).
« Prends, mon petit, mange du « Jésus a pris les deux pains et deux poissons »
pain, cette année... » (Mc. 6, 40).

"Allez, mes enfants, faites les « Allez dans le monde entier, portez la Bonne connaître à tout mon peuple ». Nouvelle à toute la création » (Mc. 16, 15).

De telles comparaisons laissent entrevoir que « esprit » et « corps », dans l'être humain, sont des réalités complémentaires qui forment une unité indissociable. Chaque personne est un tout singulier et unique. Notre spiritualité et notre charisme doivent tenir compte de la réalité indissociable de l'être humain.

En conclusion de cette première partie j'ose dire que Marie, à La Salette, a su interpréter les événements de la même façon qu'elle l'a fait en Palestine. Elle essaye à dire les « choses de Dieu » dans le plus concret de son peuple. Auparavant en Palestine et maintenant à La Salette elle invite à vivre une spiritualité attentive aux signes du temps. Cette spiritualité nous plonge dans les réalités de notre vie pour y discerner les « semences du Verbe » et les appels de l'Esprit. Cette spiritualité nous permet faire l'expérience de la fidélité à Dieu, laquelle réalise des merveilles dans notre fragilité humaine. Elle nous forme à l'écoute, à l'attention à ce qui se passe autour de nous, pour y découvrir, avec l'œil et le cœur de Dieu, les voies dans lesquelles Dieu veut nous conduire.

2)- La Salette avec la richesse de ses symboles, nous introduit dans la dynamique du mystère et nous incite à créer une spiritualité incarnée.

La Salette, un événement et un message avec une richesse des symboles:

a)- Un globe lumineux qui enveloppe Marie et les deux enfants ;
b)- Les larmes qui coulent des yeux de la « Belle Dame » se transforment en rayons lumineux en croisant ceux qui dérivent du Christ Crucifié qu'elle porte sur sa poitrine ;
c)- Les lourdes chaînes qu'elle porte sur ses épaules, symboles de l'oppression et de la fermeture vis-à-vis de la fraternité et la solidarité offertes par son Fils, Jésus ;
d)- Les roses sur les épaules, autour de la tête et des pieds, symboles de l'amour, de la vie édifiée de telle façon pour que la terre cesse de « gémir dans les douleurs de l'enfantement » et pour qu'elle se ressemble autant que possible au paradis ;
e)- Les vêtements semblables à ceux en usage par les femmes de la région qui peinent pour nourrir et guérir leurs enfants dans un temps de pénuries ;
f)- La source, laquelle n'a jamais cessé de couler dans ce lieu dès l'apparition, nous rappelle la source inépuisable de « l'eau intarissable de vie éternelle » ;
g)- La montagne, c'est le lieu symbole des limites humaines et de la présence de Dieu ;
h)- Les trois moments de l'apparition :

= Marie en larmes assise sur une « dure pierre » nous rappelle la mère de la compassion et du soin maternel. Ayant dit toutes les paroles, il n'y reste que des larmes...

= Marie, debout, dans une profonde intimité avec les deux humbles bergers, en larmes, rapporte que ses enfants, insensibles aux tragiques réalités de l'époque « vous n'en faites pas cas ») et indifférents à la présence amoureuse de Dieu dans leurs vies (« vous injuriez et vous mettiez le nom de mon Fils au milieu »), elle leur propose un radical changement de vie « S'ils se convertissent, les pierres et les rochers deviendront des monceaux de blé et les pommes de terre seront ensemencées par les terres ») ; un monde nouveau serait donc possible.

= Marie, toute radieuse par la lumière qui découle de son Fils crucifié, retourne au ciel, rappelle le lumineux destin définitif de l'humanité réconciliée et réconciliatrice.

L'événement et le message de La Salette, riches des symboles que devancent notre réflexion et notre compréhension rationnelles, nous aident à saisir la dynamique du mystère et pour en identifier l'essentiel : Dieu, présence amoureuse, au milieu de nous et main dans la main, de chaque être humain. Tel qu'il est (faire rappel de la terre du Coin).

Marie, à La Salette, nous invite à bâtir une spiritualité attentive aux signes et symboles et à travers lesquels, pénétrer dans le cœur du mystère de l'Amour incommensurable. Cette tâche n'est pas facile dans notre culture post-moderne dans laquelle on « use et jette » sans aucune responsabilité. Telle spiritualité doit tenir compte des caractéristiques suivantes :

a)- Valoriser la beauté (La Belle-Dame selon l'expression de Maximin et Mélanie), le silence, la contemplation, l'adoration...
b)- Récupérer, dans nos célébrations et homélies, la valeur des symboles significatifs de la richesse de la spiritualité chrétienne.
c)- Contredire la banalisation de la vie et de la mort, la perte des valeurs évangéliques de la justice et de la solidarité, de la fraternité et de la paix...

En conclusion de cette deuxième partie, j'ose dire que l'événement de La Salette, riche en symboles, est à l'origine d'une spiritualité solide centrée dans le Christ présent dans la vie de tous, soient-ils habitants de la « terre du Coin » ou marchant sur le chemin d'Emmaüs. Telle spiritualité est en mesure d'illuminer la vie et la mission de tous les religieux et laïcs associés nourris par le message de La Salette. Cette spiritualité doit être continuellement approfondie et actualisée pour répondre aux signes des temps. En faisant ce parcours spirituel, nous pouvons découvrir à nouveau, des réalités « vieilles et nouvelles ».

3)- La Salette : du message centré dans le Christ à la relecture du charisme de la réconciliation

Le contexte général de l'apparition, c'est à dire la manière d'être de la Belle-Dame, le message, les symboles, l'appel à la conversion, les réalités du vécu du peuple et son engagement chrétien suite à l'événement, la présence humble et courageuse des premiers missionnaires sur la montagne, les dévotions qui en naissent... a poussé les pèlerins à relire la foi à partir de la réconciliation. L'invocation mariale salettine, suggérée par un pèlerin anonyme, ravive l'aspect théologal typique de l'Apparition : « Notre-Dame de La Salette, réconciliatrice des pécheurs, priez sans cesse pour nous qui avons recours à vous ». L'attribut « réconciliatrice » accordé à Marie, quelques théologiens en faisaient certain usage dans le Moyen Âge. Le Pape Léon XIII, en 1879, ayant ordonné le couronnement solennel de la statue de la « Belle-Dame » sous le vocable « Notre-Dame Réconciliatrice » ; cette image est placée à l'autel principal de la Basilique. Plus tard, le Saint Siège approuva les textes de la Messe et de l'Office de « Notre-Dame, Réconciliatrice des pécheurs ».

Les Missionnaires de Notre-Dame de La Salette adhérent immédiatement à la dynamique de la réconciliation qui provient da l'Apparition et de son message, contemplés et annoncés à la lumière de l'évangile et de la réflexion théologique de l'époque. Le tout premier brouillon de la règle de la Congrégation, en 1852, demande aux Missionnaires de La Salette d'être :

a)- « hommes de prière », en union avec la « Divine Avocate des pécheurs » ;
b)- « hommes de zèle », « chargés de travailler pour réveiller les pécheurs de leur torpeur » ;
c)- « Hommes de pénitence » toujours prêts à intercéder, auprès de Marie, la grâce de la miséricorde en faveur des pauvres pécheurs ».

Cette trilogie (prière, pénitence et zèle) est incorporée à leur première Règle de Vie, en 1858. Ces trois composants de leur vie se lient aux trois relations fondamentales de la vie :

a)- relation avec Dieu à travers la prière : acceptation de la volonté de Dieu en union et à l'exemple de Marie ;
b)- relation avec les autres, animée par le zèle, comme la manifestation de notre amour ;
c)- relation avec moi-même tonifiée par la pénitence pour vaincre les tendances égocentriques du cœur humain.

La trilogie (prière, pénitence et zèle) fut reliée à la lumière de la soi-disant « théologie d'expiation et de la réparation» vécues, souvent par des Confréries de Notre-Dame de La Salette et/ou par des mouvements typiques de l'époque ; un exemple, « Réparation à Dieu due aux blasphèmes... ». Pour simplifier, « prière, pénitence et zèle » étaient des moyens privilégiés pour « expier » les péchés des hommes, pour « réparer » les offenses à Dieu et pour « atténuer » la colère de Dieu. La confirmation de ce raisonnement c'est ce que le P. Giraud dit au maître lors de son entrée au noviciat : « Regardez-moi comme l'argile et pétrissez-moi comme vous voudrez ». Celui-ci conseille-t-il : « Il faut se laisser faire. Ce n'est pas à la victime de raisonner sur les moyens employés pour la conduire à sa fin qui est l'immolation de tout son être »... « Renoncement, sacrifice, immolation pour la gloire de Dieu... Hostie et victime d'expiation, elle payera par sa personne à travers la prière, la pénitence et le zèle » ; voila des piliers théologiques et ascétiques de la spiritualité de nos fondateurs (6). Cette ascèse néanmoins fut inspirée dans l'évangile : « Si le grain de blé ne tombe pas en terre pour y mourir... il ne porte pas de fruits » elle se prêta à des exagérations et à des comportements souvent intimistes, individualistes et sacramentalistes centrés sur la confession et l'adoration du Saint Sacrement. En d'autres mots, la victime payera d'elle-même par son immolation volontaire.

Au long du temps, l'appel de Marie à la conversion avec les ajouts qui en naissent : « prière, pénitence, zèle, réconciliatrice des pécheurs... ont été ré-interprétés à la lumière de l'évolution théologique-pastorale de l'Eglise et, particulièrement, de Vatican II. La conversion est conçue comme « metanoia », c'est-à-dire « changement de mentalité, d'esprit, des comportements... ; cette transformation exige renoncement, passion pour le Royaume, don de soi... Conversion et réconciliation ne sont pas deux actions séparées l'une de l'autre ; elles sont des éléments concourant à la formation d'un tout permanent et vivifiant.

Les valeurs évangéliques de prière, de pénitence et du zèle (« don de soi ») (2), inhérentes à notre charisme et à notre spiritualité, constituent le « chemin de notre conversion personnelle et communautaire et de notre mission au monde. Nous les vivons dans un esprit de compassion, de miséricorde, de communion, de solidarité, surtout en faveur des plus démunis au sein desquels nous sommes appelés à être signe de l'amour compatissant de Dieu et de la tendresse de la Vierge de La Salette pour son peuple (3).

En conclusion de cette troisième partie, nous pouvons dire que :

a)- Le charisme de la réconciliation relu à la lumière de l'événement de La Salette « engendre un mode de vie, un style de vie fraternelle et une structure adéquate à une communauté réconciliée et réconciliatrice au service de la mission de l'Eglise »(4)... desquels, nous les MS, désirons partager avec les congrégations inspirées par la présence de Marie à La Salette, avec les laïcs associés et avec toutes les personnes auprès desquelles nous sommes appelés à servir. Le patrimoine spirituel et charismatique de la Congrégation s'y enrichi admirablement. On surpasse la conception intimiste et individualiste et purement sacramentaliste de la réconciliation. L'horizon de la spiritualité et du charisme de la réconciliation s'ouvrent au monde entier.

b)- Vis-à-vis des exigences du monde d'aujourd'hui, les MS, les SNDS et les Laïcs Associés à eux sont appelés à ré-actualiser le charisme salettin par l'engagement personnel et communautaire pour la paix, la justice, le développement équitable, le respect de l'écologie, le dialogue œcuménique et inter-religieux... Passionnés que nous sommes pour le Royaume de Dieu, nous nous vouons à l'œuvre d'aide pour nos frères et sœurs afin de les libérer de toute sorte d'oppression et du péché personnel et social et à se réconcilier avec eux-mêmes, avec les autres et avec Dieu » (5).

c)- « La Salette est un message d'espérance » (7). J'espère vivement que cette rencontre réveille en nous la passion pour le charisme de la réconciliation, pour la spiritualité salettine et pour le Royaume de Dieu. « Je souhaite vivement que votre Chapitre stimule tous les membres de l'Institut à renouveler la conscience de leur engagement dans la mission réconciliatrice de l'Église laquelle est au cœur de leur vocation missionnaire, en aidant, sans relâche, les chrétiens à accueillir le pardon divin, en étant leurs témoins dans toutes les nations »(8)

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Notas:
1)- Casaldaliga, Pedro e Vigil, José Maria, Espiritualidade da Libertação, Vozes, 1993.
2) - João Paulo II, Carta ao Capítulo Geral, Maio de 2000.
3) - Capítulo Geral, Roma, 2000, Decisão II.
4) - Capítulo Geral, Roma, 2000, Decisão II
5) - Capítulo Geral, Roma, 2000, Decisão II.
6)- Jaouen, Jean, La Salette au regard de l'Église, 1981, p.284-287.
7)- João Paulo II, Carta ao Bispo de Grenoble, no sesquicentenário da Aparição.
8)- João Paulo II, Carta ao Capítulo Geral, Maio de 2000.
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